Luce Wilquin Avin, 1996 ISBN 2-88253-066-8 128 pages Illustration de couverture: dessin de Monique Thomassettie | Retour à la bibliographie | |
MARCO ET NGALULA |
Deux enfants, de dix à douze ans. Marginaux, chacun à leur façon. Marco, parce qu'il a horreur du foot. Et qu'à cause de ses leçons de flûte, il n 'a pas le droit de regarder les séries « abrutissantes » ni d'attraper l'épilepsie avec une console Sega, qu'à la maison on écoute plutôt Mozart que Jord'i... Ngalula, petite Cendrillon noire, mais aussi fée entourée d'un vol de papillons, ces petits bouts de ruban jaune qui brillent dans ses éternelles couettes, Ngalula-l'orpheline, parquée avec sa famille adoptive dans un centre d'accueil pour candidats réfugiés politiques. Entre eux, la différence va nourrir l'amitié, aussi brève qu'intense, absolue comme l'amour. |
L'ouvrage a été réédité une première fois par les Éditions Labor dans leur collection Espace Nord Junior en 1999, une seconde fois dans leur collection Zone J en 2001. Suite à la cessation d'activités des éditions Labor, cette dernière édition a été reprise au catalogue de MEO-éditions. http://www.meo-edition.eu/marco-et-ngalula.html | |
ISBN 2-8040-1584-X Le livre est repris au programme de lecture de plusieurs écoles. Il est régulièrement le substrat de visites d'écrivains en classe, notamment dans le projet de lecture Charles Plisnier - Charles Bertin de la Province de Hainaut. | |
Il a été traduit en croate et publié aux éditions Litteris de Zagreb Traduction : Ana Prpić |
EXTRAITS |
Tout à coup, il voit Ngalula s'arrêter, porter la main en cornet autour de l'oreille. Lui-même ne perçoit rien d'extraordinaire dans le concert de gazouillis qui se mêle au bruissement du feuillage. La gorge de son amie se gonfle, ses lèvres se tendent. « Piiit-piiit-piiiiit. » Dans les taillis, un bref silence. Ngalula ne bouge plus. Une vraie statue. Elle patiente quelques instants, puis recommence, les yeux fermés. « Piiit-piiit-piiiiit. » Marco retient son souffle. A présent, il distingue… dans ce gros chêne, un peu plus haut, sur la droite… « Piiit-piiit-piiiiit. » Le visage de Ngalula s'éclaire. Entre elle et l'oiseau invisible, un dialogue s'établit. -Piiit-piiit-piiiiit. -Piiit-piiit-piiiiit. La fillette hoche la tête, serre la main de Marco. Elle a subitement l'air toute triste. -Qu'est-ce qui se passe, qu'est-ce qu'il t'a raconté? -… -Dis-moi! Tu n'as plus confiance? Je ne suis plus ton ami? Elle hésite, comme s'il lui fallait trahir un secret. Puis elle se penche et murmure: -C'est un petit. Sa maman est partie. Il est tout seul dans le nid. Ecoute comme il tremble. Et Marco, en effet, a l'impression que le pépiement est comme haché par la peur. A son tour, il pose la bouche contre l'oreille de Ngalula. -Elle est sûrement allée chercher de la nourriture. J'ai vu ça dans un documentaire, elle va revenir avec un ver de terre dans son bec. -Non, elle est partie pour de bon. Elle ne reviendra plus jamais. Un chasseur l'a tuée. -Il n'y a pas de chasseur, ici! C'est interdit. -Tu crois? -J'en suis sûr. Mon grand-père me l'a dit. On ne peut chasser qu'en automne, et pas les oiseaux. Avant, il y avait des sales tendeurs, qui les capturaient pour les mettre dans des cages. Maintenant, c'est eux qu'on fourre en prison. En fait, il dit ça pour la rassurer, mais il n'en est pas tout à fait sûr. Même, il se souvient que Papy, avant son accident, décrochait le fusil qui pend dans sa chambre quand une volée de grives se posait sur le cerisier. Marco le regardait plier le canon, glisser les deux cartouches, mais il n'osait pas sortir, à la fois parce qu'il avait peur de la détonation et parce qu'il ne voulait pas aller ramasser les oiseaux. Ce qui ne l'empêchait pas de les manger d'excellent appétit. Mais il ne se souvient plus si c'était en été: il vient aussi toute une semaine à Noël et une autre encore à Pâques. -Il y a les braconniers! -Non, les garde-chasses les poursuivent. -Pour les tuer? -Mais non, quelle idée! Pour leur mettre une contravention. -Ah! Perplexe. -Je t'assure! D'ailleurs, même en automne, personne ne chasse par ici. Ça manque de gibier. Ils vont de l'autre côté du village, près des étangs. Là, il y a des poules d'eau et même des faisans. Puis, des prairies et des bois pleins de lapins. -Alors, peut-être qu'elle va quand même revenir! Attends, je le lui dis. Elle se remet à siffler. « Piiit-piiit-piiiiit. » Le cœur battant, Marco attend la réponse. « Piiit-piiit-piiiiit. » Ça y est, l'oisillon a compris, son cri est devenu tout joyeux. Les deux enfants battent des mains. * * * D'habitude, pendant le sermon, Marco se laisse emporter dans une rêverie qui n'est pas désagréable, d'autant que Monsieur le curé le berce avec sa voix de miel et ses “r” qui roulent comme les pales d'un ventilateur. C'est un Polonais, qui vient chaque dimanche de la ville. Mamy prétend qu'ils ont beaucoup de prêtres, là-bas, et que chez nous il manque de vocations. Bien sûr, Papy ne perd pas l'occasion de se moquer: bientôt, ce seront les Noirs et les petits Chinois qui nous enverront des missionnaires…! Mais aujourd'hui, son attention est tout de suite attirée par le ton anormalement vif. Le curé parle de ceux qui font circuler une “pétition”. Il dit que ce n'est pas chrétien de signer, et Marco comprend qu'il s'agit du sale type d'hier. Il entend les mots “générrrosité”, “accueil”. Le prêtre s'enflamme en parlant, il frappe de la paume le rebord de la chaire, et tout à coup la Négresse au foulard bat des mains, laisse échapper un “Eeeeh!” sonore. Tout le monde se tourne vers elle, avec un sourire gêné, mais quand même sympathique. Ngalula regarde Marco en pinçant les lèvres, il la regarde aussi, et tous deux pouffent en même temps. Ils doivent plonger en quatrième vitesse le visage dans les mains pour ne pas éclater en fou rire. Le curé, maintenant, fait un geste vers le fond de l'église. Des talons claquent sur les dalles, et toute l'assistance se retourne. Ce n'est décidément pas un dimanche comme les autres: madame Istasse s'avance jusqu'au banc de communion. Personne ne peut cacher sa surprise. Même Marco sait que l'ancienne institutrice est une “rouge”, qu'elle n'a jamais mis les pieds à la messe, qu'elle n'entre dans l'église que pour la faire visiter, parce qu'elle s'y connaît en histoire et en architecture, et que le tourisme est important pour les commerçants du village. Elle tapote le micro, déplie un papier, toussote pour s'éclaircir la voix. Un grand silence se fait. C'est, dit-elle, un texte du siècle dernier. Un poète célèbre, qui visitait la région avec sa jeune femme. Elle se met à lire. Il y est question de l'église et des halles, bien sûr, mais aussi de paysage délicat, de bois, de prairies, et même du ruisseau. Puis le poète raconte: sa voiture a cassé un essieu, le maréchal-ferrant a dû en forger un nouveau, et tout le temps qu'a duré la réparation, des fermiers ont hébergé le couple. Ils ont partagé leurs repas, ils ont dormi dans la chambre des fils qui sont allés loger dans le fenil. Et ces braves gens n'ont rien accepté en paiement: c'était la loi de l'hospitalité, on n'abandonnait pas des étrangers dans le malheur! Le poète ne donne pas de nom, mais Marco pense que c'est sûrement la ferme des Latons, et il se sent tout fier d'être assis à côté de la fermière. Madame Istasse replie son papier. Elle élève la voix, darde sur l'assistance un regard de défi: nos ancêtres, pourtant, étaient pauvres; en nous enrichissant, serions-nous devenus moins bons qu'eux? Mamy fait semblant de se retirer une poussière de l'œil. Marco, à nouveau, croise le regard de Ngalula. Sa gorge se serre à en étouffer. Des larmes lui montent aux yeux, mais il ne sait pas pourquoi, c'est comme une vague de bonheur. |
On a craqué. L'histoire est belle, elle dit l'amitié entre deux enfants que tout sépare (…) Avec Marco et Ngalula, Gérard Adam signe un livre d'exception, le "Petit Prince" de cette fin troublée du Xxe siècle. Gaël. À première vue, il n'est pas de roman mieux adapté à l'été que celui-ci: dans « Marco et Ngalula », Gérard Adam raconte en effet un amour de vacances. La saison s'y prête... Mais attention! il ne faut pas se laisser prendre aux apparences, et la lecture laisse très vite entrevoir d'autres perspectives. Marco, une dizaine d'années, passe comme chaque année l'été dans le village de ses grands-parents. Enfant unique éduqué avec une rigueur sourcilleuse, il n'a guère l'occasion de se mêler durant l'année aux plaisirs de ses compagnons de classe, et il a donc pris l'habitude de jouer seul dans une nature peu sauvage, souvent avec le chien Tango. Mais, cette année- là, Tango a été enterré et le climat a changé dans le village de mille habitants avec l'installation, au "Château", de cent cinquante candidats réfugiés politiques venus d'un peu partout et en partance pour nulle part peut-être. Une certaine tension gagne la population, partagée entre ceux qui refusent la présence d'un groupe extérieur dans lequel ils croient voir un quelconque danger et ceux qui, avec générosité, trouvent normal de les accueillir après tous leurs malheurs. Marco, on s'en doute, est trop jeune pour prendre part à ce débat. Il s'y trouve cependant impliqué malgré lui quand il rencontre Ngalula, une Africaine de douze ans qui se sent à l'étroit au Château et qui partage ses jeux en leur donnant une coloration nouvelle. Appartenant à des cultures évidemment très différentes. les deux enfants pratiquent l'échange avec un naturel qui n'a rien de commun avec les raisonnements ou les atermoiements des adultes. C'est une complicité immédiate, sans calculs : Marco et Ngalula ont simplement trouvé, chacun en l'autre, une ouverture sur le monde qui éclaire leur vie d'une lumière nouvelle. Ils seront, cela va malheureusement de soi, rattrapés par le poids d'une réalité bien moins drôle. Car Gérard Adam n'avail pas pour objectif de nous donner un roman idyllique. En revanche, présentant les choses comme il le fait, sans commentaire bavard, se contentant de raconter avec une grande sûreté de ton une histoire simple dont tes dessous sont révélateurs de tout un pan de notre société. Pierre Maury, le Soir Dès la première page, surprise! Gérard Adam a dépassé le questionnement intérieur, la nostalgie de l'Afrique, les horreurs de l'expérience bosniaque. Cette fois, il nous emmène dans le monde innocent de l'enfance. Sa manière de prendre au sérieux les naïvetés enfantines, sa justesse de ton nous ont d'abord rappelé « Cinq ans et des cadeaux » de Jacques Henrard; mais dans « Marco et Ngalula », il s'agit d'une enfance à l'abri des turbulences parentales : une enfance heureuse, avec des vacances campagnardes sous la garde débonnaire des grands parents, au cours desquelles, en toute liberté, Marco, héros au coeur pur, redécouvre ou réinvente le monde. En fait, l'Afrique est-elle vraiment si loin? Voici qu'apparait une petite fée à peau noire : Ngalula. Pour employer les grands mots : rencontre des cultures. Plus simplement, découverte par les protagonistes, je similitudes et de différences, parfois inattendues : « Bizarre, elle qui vient de ces pavs là n'a jamais vu de zèbre, ni de lion. Ni d'hippopotame, alors que lui, sans parler de la télé, est allé plusieurs fois au jardin zoologique ». Aucun “choc” cependant, aucune dramatisation. Au contriire, une symbiose progressive et « naturelle » qui, à petites louches, compose la trame d'un récit sans didactisme, mais fort de sa crédibilité. Si l'idyile de Marco et Ngalula donne à réfléchir au lecteur adulte en même temps qu'elle le charme, aux enfants et aux adolescents, elle en apprenda plus que le préchi-préeha le mieux intentionné. Édifiante sans chercher à l'être, l'histoire de Marco et Nalula aborde par un détour que les lecteurs découvriront la problématique de l'accueil des eirangers, notamment en ce qui concerne la distinction parfois difficile entre réfugiés politiques et réfugiés économiques. la présence en Belgique de N'galula et de sa famille fournit ainsi les éléments d'une sorte "d'étude de cas" qui met à mal nos préjugés en la matière. Soudaine éclaircie dans l'œuvre de Gérard Adam, ce roman finement écrit nous enchante en nous emmenant au « vert paradis des amours enfantines ». Nous pouvons nous abandonner à son charme finalement, sans dramatisation ni emphase, il nous fait prendre mieux conscience d'une des sombres réalités de notre temps. Roger Cantraine, Le Peuple Les vacances commencent mal pour Marco ; parents en vadrouille à l'autre bout du monde, Mamy vieillie par les ans, mort du chien et surtout ces étrangers qui ont envahi le Château du village et à propos desquels se disputent sans cesse les grands-parents de Marco. Que peuvent d'ailleurs signifier pour cet enfant d'une dizaine d'an- nées les mots de "candidats réfugiés politiques" ? Jusqu'au jour où il rencontre Ngalula, petite Cendrillon noire, entourée d'un vol de papillons et qui parle aux oiseaux. En partageant leurs univers respectifs à partir des réalités qui sont les leurs, le jeu, la langue, l'école, le métier du père, la maison, les saisons, et dans leurs mots à eux, ils font l'apprentissage de la différence et d'une amitié qui n'a rien à cirer des conflits générés par le monde des adultes. Le texte, avec simplicité, s'attache à rendre la vie apparemment insouciante d'un enfant et son univers intérieur. Comme tel, il pourra plaire à des adultes comme à de jeunes lecteurs. Michel Torrekens, Le Ligueur. Le livre de Gérard Adam nous rappelle, au cœur de la brûlante actualité, que le monde de l'enfance n'est pas à l'abri des forfaitures et des turpitudes de l'époque. Il nous confir la part d'humanité qui l'habite, le meilleur de lui-même, avec la lucidité qui caractérise chacun de ses livres, mais aussi avec la foi inaliénable qu'il porte aux valeurs de l'enfance. À la fois poète et clinicien des situations les plus dures, Gérard Adam démonte sans complaisance les mécanismes d’une société perdue, mais son scepticisme s’égare devant tous ces Marco et Ngalula qui adoucissent le regard et réinventent l’authenticité. Michel Joiret, Le Non-Dit. Un beau roman doux et terrible à la fois, une histoire généreuse que devraient lire tous ceux, qui, à un titre ou à un autre, s'interrogent sur les problèmes des réfugiés politiques. Un livre abordable dès les premières années du secondaire (…) Un roman doux, parce que l'amitié entre les deux enfants réchauffe le cœur. Un roman amer aussi parce que ceux qui s'opposent à Ngalula et ux siens, ceux qui les manipulent pour mieux les renvoyer chez eux, existent dans la réalité, terriblement inhumains, fermés au partage des différences. Le livre d'un écrivain sensible et ouvert à l'autre. Frank Andriat, réflexions. Gérard Adam évoque des sentiments profonds, des situations dramatiques, dans un style que sa simplicité rend d’autant plus évocateur. L'histoire de Marco et Ngalula pourrait s'appeler “L'exil raconté aux enfants”, une histoire qui se passe chez nous, et qui brise le cœur. Colette Braeckman, Le Soir. | ||